Cette année 2021 connaît une percée phénoménale des NFT (Non Fungible Token, jetons non fongibles) dans le domaine artistique.
Récemment, l’une des œuvres numériques de l’artiste américain Beeple a défrayé la chronique avec une vente aux enchères de plusieurs dizaines de millions de dollars par Christie's en partenariat avec la plateforme Makersplace.
Osinachi, artiste nigérian le plus coté, a lui participé à la vente phare “The Pioneers of NFT Art” de la maison d’enchères Bonhams avec Super Rare quand le ghanéen Ahmed Partey fait partie des valeurs sûres mondiales de l’art digital avec des ventes à 5 chiffres.
Christie's comme Sotheby’s ont lancé depuis d’autres opérations aussi médiatiques les unes que les autres en mettant aux enchères des “bijoux” de “l’histoire” toute récente des NFT (comme pour les Crypto Punks). Ils dévoilent l’importance de ce qui se déroule sous nos yeux à propos de ce qu’on dénomme le "crypto art".
En effet, si ces acteurs majeurs de l’Art se positionne, c’est que tout un écosystème, moins médiatique mais très actif sur les réseaux sociaux et dans les nouvelles plateformes de vente dédiées avec ou sans curation, se construit à vitesse grand V au plus grand bonheur de nombre d’artistes connectés dans le monde entier.
Quand on sait que le Nigéria est le 3ème pays au monde d’échange de cryptomonnaie derrière les Etats-Unis et la Russie (étude Statista sur l’année 2020), on perçoit tout le potentiel d’une véritable révolution artistique en marche dans laquelle l’Afrique a l'opportunité d'exceller.
Parlons NFT pour les non-initiés
Les NFT sont des “crypto actifs” car ils s'appuient sur la crypto-monnaie. Les fichiers numériques (Jpg, mp4, etc.) sont enregistrés comme elle dans un grand “registre” numérique sécurisé: la blockchain.
Les monnaies virtuelles ont été popularisées par les soubresauts spéculatifs de la plus connue d’entre elles, le Bitcoin, mais se déclinent aussi en une série d’autres “coin” aux fonctionnalités beaucoup plus utiles (Ethereum, Tezos, Cardano…) notamment pour créer de l’Art digital.
Aujourd’hui détenues par plus de 100 millions de particuliers et institutionnels dans le monde (à l’heure où nous écrivons cet article, moins de 60 millions en début d’année), les crypto-monnaies constituent une valeur refuge dans la période de crise que nous connaissons et donc une source d’investissement dans les NFT.
Les NFT ne touchent pas que l’art: ils permettent dorénavant de créer et de posséder un objet numérique rare, voire unique.
C’est ainsi que la NBA (ligue de basket américaine) vend des extraits vidéo de ses matchs sous forme de NFT. Et avec Sorare, les clubs de football vendent eux des licences pour commercialiser des cartes NFT des joueurs de leur équipe à utiliser dans ce jeu virtuel.
En vérité, avec les NFT, tout créatif peut, grâce aux smart-contract (contrats intelligents) de la blockchain, “enregistrer” une de ses créations, en garantir son authenticité, son caractère unique et son inviolabilité.
Les NFTs sont donc des actifs numériques qui, contrairement aux cryptomonnaies, sont totalement uniques et non interchangeables avec tout autre actif.
Sans être exhaustif, cela va des parcelles de terrain virtuel dans des plateformes multi-utilisateurs à l’Art programmable en passant par les enregistrements de propriété pour les actifs physiques.
Parce qu’ils sont uniques et impossibles à reproduire, les NFT établissent un pont entre les économies virtuelles et physiques. Un énorme marché de biens numériques peut être collecté et échangé.
Cette révolution indéniable de la propriété numérique ne se cantonne plus à posséder une copie du code, du fichier original, mais constitue à la fois un véritable marché en pleine croissance et aussi une source incroyable de renouvellement du monde de l’Art.
Pourquoi les crypto-artistes sont le futur de l’économie créative du Continent.
La pandémie de Covid-19 a eu de forts impacts économiques sur les artistes partout dans le monde. L’annulation des Biennales, foires et expositions, les difficultés de transport des œuvres ont été autant d’obstacles physiques difficiles à surmonter provoquant de lourdes conséquences.
C’est d’autant plus vrai que, dans la plupart des pays d’Afrique, la majorité du financement de la culture et de l’art contemporain en particulier dépend de l’extérieur, soit par le biais d’organismes de coopération internationale implantés sur place ou du tourisme, soit par le biais de foires internationales dont les plus prestigieuses sont en Europe, Amérique du Nord et Asie.
Si des artistes d'Afrique font déjà des vagues sur le marché digital des NFT en partageant un Art qui suscite aujourd’hui beaucoup d’écho, s’ils créent une forte communauté et gagnent enfin des revenus de leur passion, c’est que des collectionneurs du monde entier ont enfin accès directement à leurs créations !
Certes, enregistrer une œuvre dans la blockchain nécessite quelques aptitudes techniques. Là se joue un véritable enjeu d'accompagnement d’autant plus prégnant pour les artistes “traditionnels” installés qui voudraient sauter le pas.
Pour ceux de la jeune génération, ils maîtrisent souvent déjà le digital même dans le cas où ils développent une pratique classique dans la peinture, la sculpture, le street art…
Citons par exemple le nigérian Owo Anietie: il a débuté une carrière artistique “classique” en 2009 et ce n’est qu’en 2012 qu’il s’est formé au motion design, à l’animation et à la 3D avant de s’investir depuis dans la création digitale sous forme de NFT cette année. Depuis, il a initié le premier projet de “collectible” génératif d’Afrique (collection digitale de personnages) qui vient d’écouler le 1er septembre ses 12 117 AfroDroids en quelques minutes après une prévente à succès.
Créer un NFT a aussi un coût à ne pas négliger: il est variable à partir d’une dizaine de dollars. Et il suppose du matériel informatique (à la rigueur un smartphone) ainsi qu’une connexion Internet stable.
Mais ces obstacles sont sans commune mesure avec ceux techniques et financiers du monde de l’Art contemporain actuel qui structurent le Marché au seul bénéfice des artistes, galeristes et marchands d’art occidentaux.
L’acheminement d'œuvres physiques est très onéreux et délicat depuis le Continent. Il est aussi très énergivore: sans commune mesure avec l’impact environnemental pourtant parfois décrié de l’enregistrement numérique d'œuvres digitales sur la blockchain.
Du point de vue financier, pour un artiste africain, “monétiser” ses réseaux sociaux, qui ne le rémunèrent pas pour ses créations qu’elles que soient leur audience, est loin d'être simple aujourd’hui: pour ne citer qu’Instagram, son option Shopping ne fonctionne pas dans de nombreux pays africains, surtout dans la sphère francophone.
Cette distorsion de concurrence est valable pour les professionnels qui voudraient accéder à la vente d’art en ligne même si des solutions existent.
Par exemple, si Stripe est l’un des systèmes de paiement en ligne les plus utilisés au monde y compris par Artsy, la marketplace n°1 de la vente d’Art en ligne, son service n’est pas disponible en Afrique sans parler des difficultés d’accès en tant qu’Artiste au système bancaire local.
Le résultat est désolant malgré la formidable énergie créatrice du Continent qui inspire les plus grandes stars (par exemple Beyoncé dans “Black is king” avec les designers Loza Maléombho, La Falaise Dionn, Sarah Diouf..).
Si des initiatives ont émergé ces dernières années - citons l'Art Fair spécialisée 1-54 à Casablanca, Londres et New York, l’AKAA à Paris et la présence de quelques galeries africaines en dehors du Continent-, l’Art contemporain d’Afrique représente moins de 1% des 50 milliards de dollars du Marché mondial comme le soulignait en mai dernier Ciku Kimeira dans Quartz Africa.
Grâce à leurs pratiques artistiques profondément enracinées, les crypto-artistes africains peuvent donc promouvoir les cultures de tout un Continent sur la blockchain et immortaliser leur influence culturelle sur le mouvement du crypto-art.
Au-delà, les NFT donnent une opportunité unique aux artistes africains de trouver une juste place dans le monde de l’Art en général.
Le succès planétaire des NFTs de Yatreda, famille éthiopienne d’artistes, sur la plateforme Foundation.app illustre notre propos.
En revisitant les lignées prestigieuses de reines et rois du royaume d’Abyssinie en vidéo slow motion, Yatreda a fait beaucoup plus que la une de Vogue Italia: en quelques mois, le collectif a valorisé la culture éthiopienne au sens “moral” comme financier du terme générant déjà plus d’une centaine de milliers de dollars à ce jour.
Mieux, la success story de Yatreda incite d’autres artistes à s’engager dans de nouveaux récits dépouillés de l’emprise néocoloniale toujours bien ancrée dans l’Art traditionnel.
Pourquoi les crypto-artistes participent à la décolonisation du Marché de l’Art en développant le patrimoine de leur génération.
L’art digital, grâce aux NFT, permet aux artistes du Continent d'accéder à un marché mondial sans intermédiaires occidentaux.
Cette affirmation vaut aujourd’hui tant pour la dépendance économique entretenue entre les pays occidentaux et leurs anciennes colonies que pour la création elle-même influencée par des tendances marketing créées de toute pièce en Europe ou en Amérique.
Grâce à une création libérée par le crypto-art (en plus d’une possible libération monétaire pour la zone CFA arrimée à l’euro), il est permis de dépasser les constructions occidentales d’un soit disant “art contemporain africain” passant par pertes et profits la multiplicité des cultures présentes du Nord au Sud du Continent.
Car non, l’Art en Afrique ne se résume pas à un type d’Art sélectionné sur des critères et goûts relevant d'une certaine esthétique au détriment d'autres expressions, créations artistiques souvent négligées.
Simon Njami, l’un des fondateurs de la regrettée Revue Noire, déplorait ainsi en mai dernier dans le quotidien Le Monde que “nous soyons désormais dans des histoires de niche dans lesquelles nous ne voulions précisément pas être”.
La journaliste et réalisatrice Liz Gomis du nouveau magazine Off To l’a exprimé sans détour: “il faut arrêter de se marketer comme des fruits exotiques, de faire du foin sur le wax et les sapeurs. Ce qui nous définit, c’est bien plus que ça!”
Au sein du crypto-art qui mêlent peinture digitale, vidéo, 3D..., l’afro futurisme est un des mouvements fortement revendiqué par la communauté africaine des NFT.
Mais, au-delà d’une revendication identitaire légitime et assumée, l’Artiste a vocation à créer de l’Art avec un grand A et sans adjectif accolé le réduisant à son origine ou à sa couleur de peau.
A ce propos, le parcours artistique de la sénégalaise Linda Dounia est éclairant.
A côté d'œuvres NFT empreintes de références culturelles évidentes, elle développe aussi, avec talent, de l’art génératif (codé par ordinateur) qui, s’il est nécessairement inspiré par sa propre histoire, ne peut être d’emblée “rangé” dans une catégorie figée et réductrice.
La décolonisation de l’Art mise en œuvre par les crypto-artistes passe aussi par les smart contract (contrats intelligents) supports juridiques de création de l’univers des NFT. Ils permettent en effet aux artistes de tirer profit de leurs œuvres longtemps après qu'elles aient été vendues une première fois: des droits de suite sont inscrits dans la blockchain au profit de l’Artiste.
Il s'agit là d'une révolution dans l'idée même de propriété dans le monde de l'Art. Cette révolution garantit aux artistes du Continent, pour la première fois à cette échelle, la construction d’un riche patrimoine pour leur génération et montre l'influence de leurs créations dans ce vaste espace artistique des NFT.
En réalité, les opportunités de revenus permettant d’avoir du temps et une situation stable pour créer et s'offrir des outils d'art numérique, des logiciels, sont rares pour les artistes du Continent.
Aujourd'hui, beaucoup d'entre eux ne sont pas en mesure de travailler sur des projets d’envergure car ils sont toujours concentrés sur la façon de s’en sortir au quotidien. Et si une petite minorité s’en sort, elle est souvent happée par un système de représentation de leur propre Art construit par d’autres.
C’est grâce à la nouvelle économie créative du crypto-art que nous pouvons supprimer ces obstacles. Et, soulignons-le, cette révolution, construite autour de fortes communautés qui se soutiennent, développe aussi des organisations décentralisées de gouvernance innovantes (nommés DAO) pour fédérer leurs énergies dans des projets artistiques novateurs.
C’est grâce à cette révolution en cours qu’il est possible de donner aux artistes les moyens de créer de manière aussi audacieuse et prolifique qu'ils le souhaitent.
Faire émerger un marché de l’Art radicalement nouveau, une économie de la création enfin au service des artistes africains est désormais possible!
Article écrit en collaboration avec Mo du collectif 1mA
avant Cyber Baat, un événement NFT inédit en Afrique
(Workshop, Entretiens et Exposition)
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